mardi 8 septembre 2015

Trop c'est trop.


* TDS 2015 *


Faut bien que je le ponde ce compte-rendu de course ... mais je dois vous avouer que je n'ai pas envie. Pas de photos, pas d'illustrations décalées, pas trop d'humour ni encore moins d'auto-dérision (quoique...), bah oui, parce que ceux qui ont suivi le truc savent très bien que j'ai déposé les armes (et mes jambes) plus ou moins à mi-parcours.
Comment ça ? Moi et mon mental de fou qui m'a sauvé des milliers de fois, moi qui ne lâche jamais rien de rien, j'ai été contraint à l'abandon sur une course ?
Bon c'est qu'il y a du y avoir une raison bien particulière genre :

- Il est tombé trois mètres de neige à Bourg Saint Maurice ?
- J'ai pris la gamelle du siècle et me suis cassé les deux jambes, un bras, quatre orteils et trois poils pubiens ?
- Je me suis fait enlevé par des extraterrestres ?
- J'ai croisé Kilian Jornet en chemin qui m'a invité pour une bouffe au McDo du coin ?

Non, même pas ... rien de tout ça ... je vous raconte :

Présentation



Alors c'est quoi la TDS ?
Sur les Traces des Ducs de Savoie, c'est un départ de Courmayeur à 6h00 du matin pour rallier, via Bourg Saint Maurice, Chamonix.
120 kilomètres, 7'250 mètres de dénivelé, un parcours un peu plus sauvage et technique qu'une CCC et un passage mythique au "Passeur de Pralognan" ... voilà pour le menu que bon nombre de traileur rêve d'avaler une fois dans sa vie.

Pour ma part, après avoir correctement maîtrisé ma CCC l'an dernier, j'avais envie de concrétiser et de bien faire pour cette TDS.
Alors j'y ai mis du coeur et de la sueur ... beaucoup de sueur, peut-être même trop de sueur cette année. En moins de deux mois j'enchaîne trois grosses courses :
Transjutrail (36km, 2000D+), Faverges (50km, 3000 D+) et Fiz (60km, 5000D+) avec très peu de repos entre deux, quelques jours tout au plus.

Mais je me dis qu'il faut en passer par là pour pouvoir profiter de cette course. J'enchaîne donc, puisque je suis un warrior, avec des entraînements toujours plus durs, toujours plus longs. Mon corps tient le coup, pas de blessures, je passe juillet et août la tête dans le guidon.

A deux semaines de ma course, je vais comprendre lors de ma dernière sortie longue au Buet que j'ai très mal gérer le truc ... je me sens cramé de chez cramé !!!
Deux semaines de repos, ça devrait suffire nan ?

Donc j'en suis là, ce mercredi 26 août sur la ligne de départ de cette TDS, j'en suis à me poser la question si ces 450 km de course à pied et ces 30'000 m de dénivelé en deux mois, c'est pas un peu trop pour moi ?

Le départ est donc donné à 6 heures du matin ... je suis grognon et j'ai la tête dans le cul comme d'hab, donc je gère.
Je me fais un début de course hyper cool : je profite du paysage grandiose et j'attaque d'entrée de jeu ma stratégie ravitaillement.
Au sommet de la première bosse je me rend compte que je ne suis pas très rapide, mais peu m'importe ... j'attends de voir si mes jambes vont se réveiller ou si je vais devoir faire la course dans cet état comateux ...

Je me test un peu dans la première descente ... je grappille une centaine de place easy, mais j'ai toujours l'impression d'être dans le coton. Je me fais un stop éclair au lac Combal (tellement beau !), direction le col Chavannes (tellement beau bis !).
J'ai de la peine à sortir les watts et je me dis qu'avoir déjà de la peine au 15eme km n'est sûrement pas un bon signe.
Je me fais la montée en mode Candy Crush, c'est à dire sans booster : pas de musique, de barre de céréales qui va bien ou de bonbon à la menthe, je garde mes jokers pour plus tard.

Je passe le col ... mes jambes ne répondent toujours pas à mes appels désespérés. Dans la longue descente sur Alpetta, mes prières seront enfin entendues : Ayé !!! j'arrive enfin à dérouler un peu et à mettre du rythme dans ma foulée.

A ce moment là je suis content, il m'a fallu 5 heures pour mettre en route la machine, mais ce coup-ci c'est la bonne !!! Les sensations, les jambes, le moral, le paysage ... tout est vert, donc go !

Je passe le col du Petit St-Bernard en version intouchable. Avec 20 min d'avance sur mon road-book version "je termine plus ou moins en 24h", je prends le luxe de soigner mon ravitaillement avant de me lancer dans 15km de descente direction Bourg-St-Maurice.

Oui mais seulement voilà, je vais y laisser une énergie folle dans cette descente : il fait chaud et je subis énormément le terrain sur une piste de 4x4 ennuyante au possible. A Bourg-St-Maurice je suis cuit, cramé, rincé, épuisé, détruis, vanné, déprimé ... (vous avez compris ou j'en rajoute encore quelques-uns ?). Je viens de me prendre une heure de retard sur mon planning, mais surtout je me sens fatigué comme jamais. Ce n'est pas juste un coup de pompe qui va passer ... je me sens vide de chez vide.

J'ai grave les boules parce que l'idée d'abandonner est bien présente dans ma tête et dans mon corps ... mais au 50eme kilomètre, ça fait pas sérieux quoi ! Et puis j'ai surtout les boules pour toute la peine que je me suis donné pour bien faire et qui ne sera pas récompensé.

Je sors mon road-book : le prochain ravitaillement où je peux plier bagages est dans 15 km et avec, insignifiant détail, 2'000 m de dénivelé.
Je peux le faire ?
Avec l'énergie du désespoir, et sans même avoir compris pourquoi, je me lance dans ZE difficulté du jour.
J'arrive à m'arracher durant la première heure de montée ... tout au mental, je trouve encore un peu de force pour mettre un peu de rythme dans la pente. Mais le retour de bâton va être terrible : les 4 heures suivante pour monter au Passeur de Pralognan seront ponctuées de:
- Fais chier !
- Plein les couilles !
- Raz le cul de ces conneries !
- Ça me gave, mais ça me gave !
Bref je mouline pas possible et je dois ressembler à une mouche qui a posé ses pattes dans un pot de miel.

Passeur de Pralognan : le parcours est incroyable, la vue d'une beauté rare, la difficulté extrême (du moins ressentie), l'état du gugus pitoyable. Je ne pense qu'à une chose ; poser mon lamentable cul dans le bus, direction Chamonix... encore 4 kilomètres de descente et c'est fini ... je sers les dents.

La nuit me rattrape dans la descente. Je me sens fatigué, tellement fatigué ... je baille (!), je suis épuisé.
Mais je lutte encore et mon esprit volontaire essaie de se projeter : le prochain col n'a pas l'air si monstrueux que ça. Peut-être qu'avec une petite pause et un bon ravitaillement je peux repartir ? finir cette course ?

Alors que j'hypothèque mes chances de survie, je me prends non pas une, ni deux, mais trois grosses gamelles coup sur coup dans la descente.
Je vais y laisser une cheville, mon coccyx et beaucoup d'amour propre.

Cormet de Roselend : il faut savoir être intelligent des fois : je n'ai plus de plaisir depuis bien longtemps, je manque totalement de lucidité et d'énergie pour me lancer à l'assaut de la nuit et des 15 heures de course qui m'attendent. Je rends mon dossard ... même pas déçu, juste tellement soulagé d'en avoir terminer.

Deux heures de bus plus tard, je me retrouve sur l'arrivée à Chamonix... mal au cul, mal à la tête, mal aux jambes. C'est vraiment dur pour le moral de se sentir exclu de la fête. Faut que je rentre à la maison ... vite.

A l'heure où j'écris ces lignes, de nombreuses questions se bousculent dans ma tête ... tout le monde sait que le temps efface tout ... on oublie les galères, la douleur et la difficulté. Alors même si sur le moment j'ai eu l'impression que je ne pouvais pas aller plus loin, que j'avais tout donné, que je ne pouvais pas avoir de regrets, il y a quand même pas mal de "si" qui viennent me hanter et je dois avouer que la pilule a beaucoup de mal à passer ces jours ci.

Je sais qu'il me faudra du temps ... que je retrouve l'envie, le plaisir surtout, que je me pose les bonnes questions et que je me remette en cause pour revenir plus fort, plus motivé.

Quoique j'en dise et même si l'expérience et le récit est amer, je dois quand même vous dire que j'y ai passé une chouette journée et puisqu'il faut toujours (et surtout) en retirer des points positifs pour avancer, voici ce que j'en retiendrai :

- J'ai repéré les 70 premiers kilomètres pour l'année prochaine.
- Il faudra absolument que je vous fasse des photos, le tracé est d'une beauté incroyable.
- J'ai appris une bonne leçon sur la planification de mes futurs entraînements.
- J'ai quelques nouvelles idées à mettre en place question stratégie de ravitaillement.
- J'ai envie ... déjà ? bah oui tiens j'y vais, tu viens avec moi ?




11 commentaires:

  1. L'année prochaine on sera la avec Tof, on galèrera ensemble et on la terminera cette TDS.

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  2. T'as bien fait de le faire ce recit car maintenant tout ca est derriere toi! Un abandon n'est pas un echec, c'est juste une etape dans ta vie de trailer. Une etape pas drole mais peut-etre celle qui t'apportera le plus d'info sur toi et ton approche.
    Et comme Tom l'a dit: sur qu'on en sera l'annee prochaine, nous aussi on aime les galeres qui font mal ;-)

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    1. Oui, tu as raison, l'abandon fait partie de la vie du trailer ... c'est comme ça qu'on apprend ;-)

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  3. L'an prochain je serai là pour te mettre des coups de pied au cul quand tu n'avanceras plus !! Vivement 2016

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    1. Eh beh je ferai tout pour que tu n'ais pas trop à m'en donner ^^ :)) ça va être monstrueux !!!

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  4. l'abandon n'est pas un échec et plutôt preuve de sagesse... c'est mieux que de vouloir à tout prix continuer au risque de terminer dans un état pas possible! bref place au repos et j'espère que la motivation n'est pas entamée! la course n'en sera que meilleure l'année prochaine :-)

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    1. Merci Michèle ... pour ce qui est de ma motivation, pas de soucis, j'en ai à revendre (et pas qu'un peu !)

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  5. Tu vois, ça y est! Bravo

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    1. Merci Ben, je suis tellement content :)) Grosse pression pour écrire un CR de folie, à l'image de ma course ;-)

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    2. On l'attend tous. Il faut mettre une BH pour les CRs ;)

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